Visiter un musée est une expérience particulière. Celle-ci mêle à la fois le sensible et l’intellectuel.
Pourquoi visiter un musée en ligne ne pourra-t-il jamais recréer l’expérience in situ ?
Un musée est une collection d’œuvre arts, il a à la fois une vocation culturelle, éducationnelle et politique. Son but est de léguer un patrimoine à une population afin qu’elle ait un référentiel historique et artistique commun tout en créant une continuité narrative entre les pouvoirs politiques d’antan et ceux d’aujourd’hui. Le recours sans cesse aux références culturelles de la part des élites gouvernantes n’a qu’un seul but : créer l’illusion de perpétuation en puisant dans ce repère commun et presque indiscutable. Sans ce tour de passe-passe (biais d’association) ils n’arriveraient jamais à à conquérir le pouvoir. Ainsi, le récit historique d’une nation est une arme à double tranchant : elle crée de l’union tout en étant facilement manipulable à des fins opportunistes.
Les musées sont l’incarnation de ce récit historique. Ce sont également des lieux prestigieux qui proposent une expérience sensorielle. Les musées en ligne n’offrent qu’une fade imitation de l’expérience : une expérience visuelle et sonore incomplète et l’absence de perception olfactive ou tactile.
Dans le cas d’une impossibilité de visiter le musée dans le monde réel, ce dernier tombe de son piédestal. En effet, en tant qu’expérience culturelle, il rentre en concurrence directe avec les autres biens de consommation digitale : les films, la musique en ligne, bref tout ce qui peut être produit de culture sur la toile.
Certes, l’expérience intellectuelle peut être conservée : on peut réfléchir aux objets d’art qu’ils renferment et ainsi prendre du recul sur notre propre existence. Les musées ont l’avantage de nous sensibiliser aux idées de transmission, de postérité voire d’éternité et par la même occasion de nous faire relativiser notre propre existence et notre contribution à la saga humaine.
La perte de ce prestige met en péril la logique de conquête du pouvoir : les futurs gouvernants devront diversifier leurs références culturelles car les musées n’ont dès lors plus le même effet de levier qu’auparavant. La disparition des musées comme expérience in situ permettra à des étoiles du net de rivaliser avec les candidats du sérail. Ce bouleversement de la culture de masse qui n’est plus influencée par des idées élitistes explique notamment en partie pourquoi dans certains pays des célébrités mondaines peuvent s’emparer du pouvoir (Reagan ou Trump aux États-Unis).
Bien sûr, il reste toujours une possibilité d’avoir une influence de l’élite intellectuelle sur la toile néanmoins celle-ci devra se faire au prix d’un certain sacrifice : renoncer à une certaine idée de la propriété intellectuelle.
Je m’explique, le monde d’internet est basé sur une idée de gratuité relative, c’est-à-dire que les modèles de rentabilité ont évolué : on ne consomme plus par exemple les films comme des produits unitaires mais comme un service à la demande (cf. Netflix). Si La culture littéraire veut continuer à rester influente et présente dans l’esprit des gens, elle doit se mettre à la portée du porte-monnaie du public, autrement elle restera cantonnée à un phénomène culturel purement exclusif et peu influent à l’image de l’opéra aujourd’hui.
Sans cette adaptation aux nouveaux paradigmes économiques, les futures élites politiques ressembleront étrangement aux influenceurs d’aujourd’hui nous faisant oublier que des pays comme la France ou le Royaume-Uni ont longtemps été gouvernés par une caste lettrée comme l’étaient Churchill ou De Gaulle à titre d’exemples.