Pour vivre heureux, vivons cachés disaient certains. Cette phrase est toujours vraie à notre époque. Par peur de l’ostracisation sociale, économique ou géographique, nous prenons l’habitude d’adopter des comportements et des identités de surface. Celles-ci nous protègent de la vindicte populaire, de l’opprobre et finalement de la marginalisation. Puis, quand les volets de la maison se ferment, quand les rideaux sont tirés, les portes fermées, nous nous défaisons de cet habit ostentatoire. Nous essayons de vivre librement dans ce petit pré carré domestique. Mais comment faire quand la vie à la maison est en opposition avec la mascarade du monde extérieur ? Et même pire, que faire lorsqu’on doit continuer de porter ce masque à la maison pour plaire ou par crainte de représailles ?
La vie devient une tyrannie où notre chambre se retrouve être le dernier rempart de notre individualité face aux assauts du quotidien. Comment être soi quand ce que nous sommes intimement représente une menace pour notre propre intégrité ?
Le camouflage est presque toujours nécessaire du fait de vivre en société. Le problème est que cet habit tend à atrophier puis remplacer ce que nous sommes vraiment si nous n’y prenons pas garde. La tenue camouflage agit comme l’eau de mer alors que nous nous enfonçons dans les abysses. Au départ, nous ne sentons rien, mais sans nous en rendre compte, tout notre corps a été comprimé et si nous restons trop longtemps à de grandes profondeurs, il est même mortel de vouloir remonter à la surface d’un coup. Alors on essaye de remonter progressivement, en faisant des paliers de décompression. Le risque est que si nous nous sommes trop égarés dans les profondeurs, notre oxygène restant ne nous permettra pas de remonter à la surface et nous serons condamnés à périr sous les mers.
Le camouflage de notre idée fonctionne de la même façon, si nous l’avons trop porté, il devient comme une seconde peau qui a réussi à tuer ce que nous étions. Dès lors, il ne reste plus qu’une combinaison de plongée renfermant un corps inerte ballotté par les courants.
Vivre dans la peur permanente est épuisant et nous empêche d’être heureux. Alors on choisit d’être un autre – et donc de tuer ce que nous sommes – pour continuer de suivre la voie du bonheur (en empruntant celle de la survie) .
Or, le bonheur est exigeant et sa route est barrée très tôt par notre fausseté qui n’est autre que notre manque de hardiesse. Le bonheur ne se trouve pas à la fin du chemin du conformisme, il faut emprunter une route plus escarpée où il est vrai, on n’est pas sûr d’en sortir vivant.
Alors bien sûr notre tenue de camouflage nous apporte une certaine satisfaction, un ersatz de bonheur, dont nous nous satisfaisons tous à un moment ou un autre de notre vie.
Mais, au fond de nous-mêmes, il restera toujours ce doute, ce questionnement, comment aurait été notre vie si nous avions eu le cran de faire tomber ce costume d’apparat et d’agir en conséquence ? Notre conscience peut tromper les autres mais rarement nous-mêmes. Alors, reprendre les rênes de notre vie se résume souvent à remonter de temps en temps à la surface et respirer l’air libre qui s’y trouve