Cela ne vous aura pas échappé, le yoga est partout, il a débarqué sur les côtes californiennes il y a plusieurs décennies. Aujourd’hui, c’est l’ensemble du monde occidental qui s’y adonne sous des formes plus ou moins authentiques.
Ce qu’on appelle en occident “yoga” qui signifie “union”, désigne en substance les asanas issus de la tradition hindouiste. Les asanas n’est pas un “yoga” à proprement parler (Bhakti yoga : yoga de la dévotion, Jnana yoga : yoga de la connaissance, Karma yoga : yoga de l’action désintéressée, etc.). Il s’agit d’une composante du Raja yoga qui est établi autour de principes cardinaux (yama, niyama, samādhi, etc.). Il ne s’agit que d’un ingrédient, pourtant lui seul semble avoir conquis le monde. Cette méthode alternative pour réduire le stress et avoir pour certains une pratique spirituelle solitaire qui rompt avec la tradition des pays occidentaux davantage contraignante et communautaire. Le yoga a connu différentes phases d’expansion. Simple curiosité au départ pour des voyageurs en mal d’exotisme, il est devenu un phénomène dont les frontières sont sans cesse repoussées. Son succès surprend, mais j’aimerais aujourd’hui m’attarder sur l’éventuelle appropriation culturelle dont il pourrait faire l’objet.
Qu’est-ce qu’une appropriation culturelle ?
Il s’agit d’un emprunt culturel d’une société (le plus souvent dominante) sur une autre avec un dévoiement qui témoigne soit d’un manque de respect (racisme, etc.) ou d’une utilisation détournée de l’usage initial (à des fins mercantiles le plus souvent).
La deuxième partie de cette définition m’interpelle dans le sens où le but premier des yogas (et des asanas par extension), ce n’est pas l’enrichissement d’un propre qui conçoit un programme en ligne. C’est plutôt de permettre aux gens d’atteindre la libération (c’est-à-dire l’union avec le divin) et de mettre fin au cycle des renaissances.
Contrairement à d’autres religions, l’hindouisme n’est pas centralisé : il n’y a pas un clergé émanant d’une plus grande autorité comme c’est le cas dans le catholicisme par exemple. En effet, il s’agit plutôt à l’origine d’un enseignement initiatique où un petit nombre d’adeptes suivent un maître éclairé. Il existe bien sûr une structure sociale en Inde organisée de manière pyramidale (qui a officiellement disparu même si les mariage au sein d’une même caste sont toujours aussi répandus) au sommet de laquelle domine des personnes ayant des fonctions religieuses. Néanmoins, la subordination du pouvoir terrestre au pouvoir spirituel est ce qui est le plus répandu sur la planète jusqu’à l’avènement de la “modernité”.
L’initiation hindouiste est là pour permettre aux adeptes d’assimiler les enseignements du maîtres et de suivre ses pas dans la voie de l’éveil. Cette relative liberté et la complexité de l’hindouisme a généré une sorte de perte de contrôle qui permet à toute personne d’enseigner sans avoir trouvé l’éveil ou du moins compris ou assimilé en profondeur les principes sous-jacents.
Le terme d’appropriation culturelle se manifeste lorsqu’il y a une profanation, c’est-à-dire que l’on rend profane ce qui à l’origine été sacré. L’industrialisation du yoga telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en Occident participe d’un phénomène de profanation puisque ce qui motive dans beaucoup de cas l’ouverture de clubs de yoga, c’est l’appât du gain.
Il existe d’autres exemples, plus emblématiques, de l’appropriation culturelle. On peut penser notamment à l’utilisation de tenues cérémonielles amérindiennes à des fins de déguisement pour faire la fête.
Il y a appropriation lorsque c’est l’œuvre d’une culture dominante selon la définition dédiée. J’aime à penser que la culture indienne deviendra influente, ce qui permettrait à ces emprunts de ne pas être l’œuvre d’une appropriation dévoyée mais plutôt la marque d’un softpower d’une nation.
Il y a plusieurs niveaux d’appropriation. Certains sont superficiels, mais ils peuvent donner lieu à une meilleure compréhension de la culture en question. À mon sens, les clubs de yoga commerciaux ne sont pas un mal en soi parce qu’ils constituent une petite porte ouverte sur la culture indienne. Des pratiquants insatiables iront au-delà des enseignements superficiels pour aller chercher l’essence même du yoga qui est sacrée. Une appropriation ne l’est plus lorsqu’on arrive à renouer avec le sens originel et sacré d’une culture. Ce qui est ironique, c’est qu’il s’agit d’un plus haut niveau degré d’appropriation : un appropriation culturelle cesse de l’être quand elle est totale.
Il peut y avoir aussi ceux qui en viennent à critiquer le yoga pour sa marchandisation, pensant qu’il ne s’agit que d’un business. C’est tout à fait possible. Cependant, de par mon expérience personnelle, j’ai vu beaucoup de gens prendre le chemin de la spiritualité par le yoga. Par une pratique qu’ils considéraient initialement physique, ils se sont mis à lire et apprendre les bases de la philosophie indienne pour aller jusqu’à entreprendre des voyages dans le sous-continent afin de parfaire leurs compréhension.
L’Inde est-elle condamnée au pillage ? Celui des colonisations où le capitalisme rapace avait engendré le pire, succédé par celui de sa tradition millénaire ? En réalité, elle subit aujourd’hui un autre forme de vol qui pourrait constituer à l’avenir les bases d’une influence ou d’une meilleure entente avec les autres pays du globe.
Le yoga est une formidable opportunité pour l’Inde, celle de devenir un centre d’intérêt de premier plan dans le cœur de millions de gens. Il existe une diplomatie qui se base sur le religieux (Vatican, l’Arabie Saoudite etc.), avec la diffusion du yoga dans le monde, elle pourrait tout autant tirer partie de ces nouveaux liens tissés.