Dans un monde changeant à grande allure, les paradigmes économiques se métamorphosent pour prendre l’apparence de la simplicité et du bon sens. Dans son livre “Bullshit jobs”, David Graeber explique en quoi les métiers enfantés par la modernité sont à la fois absurdes, immoraux et stupides dans certains cas. La révolution des technologies de l’information a engendré un monde parallèle dans lequel les métiers n’ont plus tout à fait le sens qu’ils avaient auparavant. Selon Wikipédia, voici la typologie de métier dressée par l’auteur :
Les « larbins » ou « faire-valoir », servant à mettre en valeur les supérieurs hiérarchiques ou les clients
Les « porte-flingue » ou « sbires », recrutés car les concurrents emploient déjà quelqu’un à ce poste, et dont le travail a une dimension agressive
Les « rafistoleurs » ou « sparadraps », employés pour résoudre des problèmes qui auraient pu être évités
Les « cocheurs de cases », recrutés pour permettre à une organisation de prétendre qu’elle traite un problème qu’elle n’a aucune intention de résoudre
Les « petits chefs » ou « contremaîtres », surveillant des personnes travaillant déjà de façon autonome.
Comment en est-on arrivé là ?
La spécialisation du travail a permis un gain en productivité sans précédent. Cette hyperspécialisation se heurte néanmoins aux aspirations humaines les plus profondes. Un humain ne veut pas être une roue dentée dans un engrenage, il aspire à bien plus que ça. Or, l’argent est souvent au rendez-vous des métiers les plus spécialisés, alors on tire un trait sur la possibilité de se réaliser dans son travail.
Cependant, cette ère touche bientôt à sa fin. Un monde dans lequel l’automatisation et l’intelligence artificielle sont la norme, rend tout aussi obsolètes ces jobs à la con.
Être inutile aujourd’hui peut signifier être utile demain. On peut se réjouir d’un renversement des valeurs consécutives de cette ultime révolution.
La productivité et la richesse globale augmentent. Ce qui c’est se raréfie, c’est l’emploi et surtout les nouvelles compétences requises pour satisfaire le marché. Ce changement pose le problème de l’utilité des gens dans les sociétés dites modernes où le travail est la source principale de réalisation personnelle bien souvent avant la famille ou toute autre considération anthropologique.
La massification de l’inutilité peut être une source de réjouissance si on sait lui donner une issue salutaire. Il faut distinguer deux types d’utilité, celle liée à la société, aux autres humains et celle liée à l’économie. Nous nous dirigeons progressivement vers une société dans laquelle l’utilité économique de la population sera proche de zéro. Ce à quoi nous assistons, c’est une économie de robots et d’algorithmes attelés à remplacer les humains dans leur fonction productiviste. Ce qui ne sera, du moins je l’espère, jamais le cas pour les affaires purement humaines comme la reproduction, les relations sociales ou encore l’assistance aux personnes les plus fragiles. L’humanité va pouvoir grâce à cette massification de l’inutilité économique se focaliser sur des fonctions purement humaines au sens anthropologique du terme. Bien sûr, ce nouveau modèle pose la question de la répartition de la richesse. Comment continuer à vivre dans une société si on ne peut pas dégager soi-même ses propres moyens de subsistance ? L’inutilité implique une redistribution de la richesse qui elle ne décroîtra pas, bien au contraire, elle augmentera et on peut même conjecturer raisonnablement que la richesse per capita croîtra tout autant comme ce fut le cas au XXème siècle malgré une explosion démographique. Le XXIème siècle semble donc bien signer la mort de l’homo economicus. Mais quel type d’homme va-t-il engendrer ? Un homo spritus ? Ou encore un homo ecologicus ? Ou bien l’homo sophus (l’homme sage) par opposition à homo sapiens (homme de connaissance) ?
Cette transformation, on peut difficilement la prévoir, la trajectoire de l’humanité sera unique dans le sens où une société totalement libérée du travail n’a jamais existé. Il y a bien eu des sociétés esclavagistes dans lesquelles une infime portion de la population jouissait d’une oisiveté quasi totale, mais ce à quoi il faut s’attendre sera sans doute bien différent. La disparition de l’emploi peut menacer la valeur travail. Aujourd’hui, le travail n’est valorisé que par sa dimension mercantile (l’emploi). Tout le travail qui n’est pas marchandisé est soit méprisé soit occulté. Une société ne reposant plus sur l’emploi peut céder à la tentation de se débarrasser du travail et de sa dimension purement sociale et humaine. Si tel est le cas, nous verrions l’avènement de l’homo voluptas ou l’homme hédoniste. Dans une telle situation, on ne peut déplorer qu’un déclin de la civilisation qui sombrera par son nihilisme comme l’ont été les sociétés passées.
Un article intéressant, qui incite à la réflexion. Merci !
J’avoue que le titre a orienté ma curiosité à venir lire cet article très étonné et très intéressant. Cela nous laisse réfléchir sur plusieurs points de vue: économique, sociétal et philosophique, j’adore!