L’école a été créée dans un but précis et ce n’est pas forcément celui que vous croyez. L’école a pour but de créer des citoyens. En somme, les matières étudiées ne sont souvent qu’un prétexte pour inculquer aux élèves le comportement du citoyen pour créer une nation. Sans école, il n’y a pas de citoyens, sans citoyens, il n’y a pas de nation, pas de gens prêts à mourir pour le drapeau, personne pour faire tourner l’économie du pays, personne pour vous représenter.
La nation est une personne juridique possédant des millions de délégués
Si vous enlevez les personnes qui composent une nation, vous avez une coquille vide, un vague concept, une illusion, un souvenir du passé. Qu’aurait été Rome sans les Romains ou Athènes sans les Athéniens ? Rien. Ce sont les Romains qui ont fait Rome de la même manière que ce sont les citoyens actuels qui font la France, l’Italie ou toute autre nation. C’est pourquoi l’école a un intérêt tout particulier, c’est cette institution même qui est la garante de la survie de l’existence nationale. Pour autant, est-elle toujours aussi pertinente à l’ère actuelle, celle-là même qui est contemporaine des réseaux sociaux et de l’identité digitale qu’ils induisent ?
Retour sur les origines de l’école moderne
La notion d’enseignement ou d’école existe depuis longtemps. Cependant, l’école n’a été rendue accessible aux masses que récemment. Avant le XXe siècle, l’école n’était réservée qu’à une infime portion de la population, aux dirigeants ou aux élites politiques, économiques ou intellectuelles. La notion de citoyenneté était à ses balbutiements, on parlait alors plutôt de sujets du roi ou de l’empereur. L’industrialisation va modifier en profondeur l’attrait que représentait l’école.
L’industrialisation comme nouveau paradigme civilisationnel
La démographie a toujours été un enjeu de puissance. Si vous êtes en mesure de gagner la loyauté de millions de gens par un narratif qui vous sert (religion, identité nationale etc.), vous deviendrez quelqu’un de puissant. L’industrialisation a rendu le travail agricole moins gourmand en travail humain : une machine et le pétrole pouvaient remplacer le travail d’une centaine d’hommes. Que faire de ce surplus de main-d’œuvre ? Il fallait les affecter à des ateliers et des usines, lesquels étaient situés en ville. Qu’est-ce qui change entre la campagne et la ville ? C’est la culture.
L’école a permis plusieurs choses : garder les enfants et inculquer une culture urbaine aux enfants
L’allégeance des enfants envers leurs parents est totale dans une exploitation agricole familiale. Lorsque les parents sont à l’usine et les enfants sont scolarisés, l’allégeance familiale est déjà plus vacillante. L’enfant prend conscience de son appartenance à la nation qui pourra l’appeler à prendre les armes quand il sera plus grand pour défendre la patrie. L’école est l’endroit où on enseigne une culture (et souvent une langue) étrangère aux campagnes. Les enfants ne sont dès lors plus fils de leurs parents mais de la patrie (en témoigne la Marseillaise : “Allons enfants de la patrie …”). Cet écart culturel se creuse avec le temps pour au final devenir la raison de futurs conflits d’allégeance. Les parents travaillant, il faut bien trouver un endroit où placer les enfants tout en optimisant ce temps durant lequel ils sont à l’écart de leurs parents. L’école est une formidable solution à ce problème.
L’école enseigne la docilité
Ce qui caractérise l’école actuelle, c’est la passivité des élèves. On s’attend d’eux à ce qu’ils soient passifs parce qu’elle est synonyme de docilité. Un élève docile sera un futur citoyen docile qui suivra le chemin tout tracé qu’on lui montrera. Rien n’est laissé au hasard. Ce qui peut vous sembler une aberration est en fait bien pensé parce que cela sert des desseins dont vous n’êtes pas mis au courant. En principe l’école est là pour élever l’esprit des élèves et les rendre autonomes. Mais si son but caché était exactement l’inverse ? La réalité des faits me pousse hélas à envisager cette deuxième possibilité.
L’allégeance nationale existe mais les liens supranationaux sont de plus en plus forts
La technologie et le capital n’ont pour ainsi pas de frontière. Si vous êtes très riches, vous pouvez aller vivre où comme bon vous semble. Votre loyauté sera davantage liée à votre capital que vous souhaitez protéger plutôt qu’à une appartenance nationale. Bien sûr, il y a des exceptions et peut-être même que la fidélité nationale de la part des grandes fortunes est bien plus grande que je le pense. La technologie de communication abaisse les barrières, les frontières : nous sommes de plus en plus frères et sœurs en humanité, et ce aux quatre coins du monde. Nous apprenons à connaître ceux qui habitent loin de chez nous et on remarque qu’ils ne sont pas si différents, ils ont les mêmes aspirations. Dès lors, à quoi sert-il de cultiver l’identité nationale d’autant plus que la guerre est une manière archaïque de résoudre les tensions internationales – quoique toujours utilisée de nous jours – ?
L’école telle qu’on la connaît doit disparaît
La forme actuelle de l’école est calquée sur l’usine, le maître ou le professeur est un contremaître avec l’heure, les élèves sont des ouvriers ou des employés en devenir. Pour tirer son épingle du jeu dans l’économie de la connaissance, il ne faut pas savoir des choses (car la connaissance est paradoxalement accessible et bon marché) mais inventer de nouvelles choses. Pour inventer, il ne faut pas être un simple exécutant, il faut assimiler des connaissances mais apprendre dès le plus jeune âge à travailler en “mode projet”. L’avenir est en mode projet, il faut le créer et le penser à partir d’une expérience du réel. L’école a été aussi pensée pour économiser les ressources humaines (les profs). Il faudrait diviser le nombre d’heures de cours tout en doublant la densité de prof par classe (ou dédoubler les classes) ce qui revient à ne pas augmenter le budget de l’éducation nationale. Le reste du temps, les enfants doivent être autonomes et travailler sur des projets particuliers qu’ils auront choisis et qui pourront peut-être résoudre les problèmes de demain (ou d’aujourd’hui).
L’école doit préparer à un monde sans travail
Les gains en productivité exponentiels offerts par la mécanisation, l’automatisation, la robotisation et l’intelligence artificielle auront pour conséquence de raréfier l’emploi en dépit du principe de destruction créatrice – les nouveaux besoins en travail seront tellement qualifiés que seule une infime partie de la population pourra les pourvoir – (source : A World Without Work, Daniel Susskind, 2020). L’avenir n’est plus dans un monde reposant sur le plein-emploi mais la recherche d’harmonie, à commencer par la préservation des écosystèmes. La richesse va augmenter tout en ayant besoin moins de main-d’œuvre. Les personnes inactives auront pour mission plusieurs choses essentielles et pourtant pas quantifiées économiquement : préserver l’environnement, améliorer leur santé mentale et celle des autres, cultiver l’harmonie sous toutes ses formes (alimentation, rédiger des essais sur le sujet etc.). Ça semble être une utopie mais nous avons besoin de tendre vers cet idéal d’harmonie, c’est la seule issue valable dans un monde de plus en plus en proie au doute et au fatalisme.